• BASHUNG : ce sont les autres qui en parlent le mieux

     

    Ces dernières jours votre serviteur était bien ennuyé ...

    Comment rendre hommage au grand artiste qui nous a quitté samedi ? 

    Jusqu'à ce qu'en farfouillant sur la Toile il ne tombe sur ce magnifique témoignage d'Armand Mèliès, un des jeunes compositeurs qui a participé au dernier album du chanteur Bleu Pétrole

    ça se passe de commentaires 

    "Mon premier contact avec Alain Bashung remonte à 2005. Il avait reçu une carte blanche de la Cité de la musique et m'a proposé de jouer lors d'une des cinq soirées qu'il programmait. C'était quelques mois après la sortie de mon premier album, Néons blancs & Asphaltine, publié en catimini. Mais lui l'avait déniché et apprécié. J'ai été honoré de participer à ces concerts, où l'on retrouvait également des gens comme Bonnie 'Prince' Billy, Cat Power ou Dominique A. Cependant, je n'avais pas envie de capitaliser sur cette rencontre pour essayer d'en tirer quelque chose. Je n'ai donc pas cherché à garder le contact avec lui.

    Deux ans plus tard, il est revenu vers moi, peu après la sortie de mon deuxième album, Les tortures volontaires. Il venait de travailler à Bruxelles avec différents musiciens, mais n'était pas satisfait du résultat. Il voulait donc tout reprendre à zéro et m'a proposé de composer pour lui. Je suis allé chez lui et il m'a fait écouter des maquettes. Une quarantaine d'ébauches faites de quelques accords de guitare et de mélodies chantées en yahourt. C'étaient des idées de départ et j'étais libre d'en faire ce que je voulais. J'ai donc commencé à bosser dans mon coin, principalement sur les musiques.

    Je me suis très vite fixé une sorte d'accord tacite: je propose, Alain dispose. Mais de toute façon, c'était tellement excitant de travailler avec lui qu'il n'était pas question d'être frustré si mes propositions n'étaient pas retenues au final. De la même manière, j'ai décidé de composer comme je l'aurais fait pour moi. Car s'il venait vers moi, cétait sans doute qu'il aimait mon travail. En résumé, j'ai travaillé comme d'habitude. Juste un peu plus vite, tant j'étais excité.

    Par rapport aux ébauches qu'il m'avait données, j'ai gardé très peu de choses. Je prenais un petit bout de mélodies ou un petit bout de rythmes et essayais d'en jouer comme d'une contrainte initiale, de créer autour. Et comme je savais qu'il aimait piocher dans les différentes choses qu'on lui proposait, j'ai opté pour des compositions peu élaborées. Mais les arrangements se sont imposés très naturellement autour de l'armature des morceaux. Ce qui l'a un peu surpris dans un premier temps et m'a fait me demandé si je n'avais pas été trop loin. Mais rapidement il m'a rappelé et m'a demandé de continuer à composer, car ce qu'il avait écouté lui parlait. Ce qui m'a poussé à poursuivre mon travail sur les musiques plutôt que de m'attaquer aux textes.

    C'est là que son rôle de grand architecte a pris toute son importance. A chacune de nos rencontres, il me faisait découvrir de nouveaux textes et des mélodies qu'il avait posé sur mes musiques. C'était magique. Cependant, il allait moins loin que sur L'imprudence dans le malaxage des matériaux musicaux. C'était son choix. Ainsi, sur les deux musiques qu'il a conservées au final - Tant de nuits et Venus - il n'a quasiment rien changé. Il a simplement fait réenregistrer certaines parties et transformé légèrement quelques arrangements. Mais il a aussi gardé quelques pistes inattendues, telle une ligne écrite pour un violon, mais que j'avais enregistré sur un vieux synthé, faute de mieux sous la main.

    Cette collaboration restera pour moi comme un régal artistique et humain. Musicalement, dès le début, Alain avait une vision d'ensemble de ce qu'il voulait atteindre, une idée relativement précise de là où il voulait aller. Mais nous ne la voyions pas vraiment. Nous naviguions à vue, chacun de notre côté, et c'était à lui de donner la cohérence aux diverses sources réunies. Humainement, je reste fasciné par sa gentillesse et sa simplicité. Aller le voir était à chaque fois un plaisir. Même si je ne lui amenais que deux musiques, nous restions des heures à discuter ou à écouter des disques. Et même si jusqu'au bout je ne savais pas ce qu'il allait conserver de mon travail, j'avais l'impression de vivre quelque chose d'important.

    C'est le genre de rencontres qui m'a libéré. On a parfois besoin d'une sorte de reconnaissance afin de pouvoir s'émanciper. C'est ce qu'il m'a offert. Surtout, il avait ce don de nous faire faire des choses dont on ne se soupçonnait pas capables. Car lui se permettait des choses qu'on n'aurait pas osé faire. Parfois, je me sentais comme un vieux con face à lui lorsque nous discutions. Moi qui essayais de bâtir mon univers, je me trouvais soudain réac' face à sa volonté de toujours aller de l'avant, dans les sons comme dans les textes, tout en conservant l'idée de chanson, qu'on puisse comprendre et qui puisse toucher.

    C'était un parrain, une figure tutélaire. Tant pour son statut de passeur que pour son approche de la chanson, jamais sous cloche, ni trop académique."

    Armand Meliès

     

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :