Arlésienne, serpent de mer, depuis plusieurs années, la possibilité de la sortie d'un nouvel album du groupe anglais emblématique des années 80 n'en finissait plus d'alimenter les rumeurs.
Il est vrai que son chanteur Robert Smith a multiplié les annonces contradictoires à ce sujet depuis plusieurs mois.
Vendredi 1er novembre (lendemain d'Halloween...ça ne s'invente pas.), nous y sommes : le voici ce disque maintes fois repoussé et enfin disponible à l'écoute.
Au plan strictement musical, Smith a aussi fait comme souvent du ménage : exit le guitariste des débuts Porl (ou Pearl) Thomson présent sur la précédente tournée et bienvenue à Reeves Gabrels, le beau frère rencontré en, musicien de renom qui a officié un temps (feu) chez le regretté David Bowie.
Dès «les premières notes de « Alone », morceau d’ouverture le ton est donné : (ultra) mélancolique.
« This is the end of every song we sing alone» . Le son de The Cure, immédiatement reconnaissable, est toujours là.
La plainte de Robert Smith a toujours été le meilleure vecteur de ce spleen parfois adolescent. S’il véhicule généralement des émotions contrastées, cette fois ce sont des larmes, celle du chagrin qu'il ressent à l’instant d’enregistrer cette jolie chanson.
On est touché à l’écoute de cette musique lente, intemporelle, un blues new wave en quelque sorte.
On le sait, entre le précédent opus et celui-ci, l’auteur de « Boys Don’t Cry » a du surmonter les épreuves que tout être humain doit un jour affronter : la perte d’êtres chers (ses deux parents et son frère Allan). Une étape attendue pour un homme lambda, un effroyable drame pour un être ultra-sensible comme le leader de The Cure.
Après cette belle entrée en matière, les quelques accords de piano d« And Nothing Is Forever » nous transportent vers une atmosphère un peu plus apaisée.
Un titre à l'accent nostalgique sur lequel Smith fait part de son désir d’aimer sa compagne jusqu’au bout. Ce« Ne me quitte pas » version Cure est un poil too much et à mon goût un peu trop orienté Coldplay (les nappes de clavier).
La mélodie et les cordes qui lui apportent une touche de grâce, ces sept minutes principalement instrumentales se laissent écouter sans déplaisir mais sans grande passion non plus. Ah! le voilà le Cure que j’aime. « A Fragile Thing »avec sa ligne de basse tellement caractéristique. Du Cure désespéré et léger à la fois. Passé l'intro minimaliste (piano), ce morceau majestueux déploie toute sa majesté et sa progression jusqu'au refrain, extatique qui n'est pas sans rappeler la période "The Head On the Door du groupe.
On songe à « Lovesong », à « A Night Like This ».. et à tous ces morceaux traversés d’un romantisme exalté qui on fait le style de The Cure.
De la vraie magie (noire) dont Smith et sa bande conservent certainement précieusement les secrets dans les pages d’un vieux grimoire bien caché au fond d'un manoir abandonné.
Changement de décor avec « Warsong » un titre d’une noirceure radicale.
Sur des nappes de synthé qui évoquent Depeche Mode, viennent se superposer les lignes de guitares saturées de Reeves Gabrels. Un mélange qui déroute davantage qu’ il convainc. Heureusement, il y a les harmonies de Robert, incroyablement belles elles.
Coté lyrics, Smith fait part de sa consternation de constater les agissements guerriers des humains. « Nous sommes nés pour la guerre » affirme-til. Difficile de le contredire sur ce point. Un titre qui ne laisse pas indemne.
« Drone : No Drone « poursuit cette veine du doute angoissant avec des lignes de guitares torturées sur des batteries martiales. Ce morceau éprouvant (le plus rock de l’album) ne me convainc pas. Cet enchevêtrement de guitares recouvrant une rythmique qui rappelle Joy Division (influence majeure de The Cure) empêche le morceau de décoller. .
« I Can Never Say Goodbye » extrait souvent joué en concert nous propose une nouvelle tranche de spleen à la sauce curesque. Sur un piano minimaliste, le groupe vient poser sa rythmique sur une mélodie lancinante. D’une durée une nouvelle fois longue (plus de 6 minutes) ce sixième titre est peut être le le plus abouti de ce disque très mélancolique. Robert Smith y parle de la perte de son frère. Il pleut sur Smith.
Une chanson d’une tristesse infinie, celle de son auteur face à la disparition d’un être cher. Bouleversant et à vif, comme un chagrin inconsolable.
« All I Ever Am » s’ouvre sur une rythmique une nouvelle fois joy divisionnesque. Des roulements de batterie se superposent à des sons électroniques et à une guitare fuzz. Un morceau complexe dont le charme et la profondeur ne se révèlera qu’après plusieurs écoutes.
« Endsong » qui clot ce disque est un long (plus de 10 minutes) morceau en grande partie instrumentale, sur lequel Robert aborde le sujet du vieillissement et son issue fatale :: la fin de la vie.
Sans pudeur, le chanteur livre ici tous ses doutes et ses angoisses existentielles.
« Its all gone » « Nothing Left Of All I loved » (tout est parti, tout ce que j’aimais n’existe plus).
Ce titre déchirant et très sombre (un des plus noirs de toute l’oeuvre de Cure) qualifié de morceau d‘anthologie par certains est sans doute un des plus personnels du chanteur. Les riffs de Gabrels mélangés aux guitares stridentes de son leader font véritablement merveille.
Le Pierrot gothique de « Close To Me » a été rattrapé par les années. L’heure n’est plus à rire. A l’image de l’homme statue qui figure sur la pochette, Robert Smith tombe ici le masque dans une geste qui ressemble à un chant du cygne.
C’est cette tragique intimité qui retient le plus ici mon attention. Quand la grandeur et le panache de l’artiste s’expriment à l’instant de quitter la scène, c’est bouleversant.
Là où je guettais des mélodies entrainantes façon "Friday I'm In Love", Robert Smith me prend à contre pied avec des chansons aux rythmiques répétitives entêtantes et un sujet universel : la mort.
Musicalement, on savait Cure capable depuis la sortie en 1989 de l’album (qui déjà devait être leur dernier) Disintegration de composer des pièces incitant à la rêverie.
Sur ce nouvel album, ils y ajoutent une tonalité crépusculaire et une introspection peut être encore jamais atteinte auparavant.
Ce disque aurait d’ailleurs pu constituer le très digne épilogue d’un parcours commencé il y a plus de 40 ans mais Smith a dors et déjà annoncé que Cure publierait encore deux autres albums avant de raccrocher définitivement quand celui-ci atteindra le cap des 70 ans.
MBPR sera peut être encore là pour en en dire quelques mots.