Et l'on reparle de ce drame, de cette tragédie qui heurta la sensibilité de milliers de français au beau milieu de cet été 2003 brûlant.
Je veux bien entendu (re) parler de l'affaire Cantat-Trintignant, qui coûta la vie à l'actrice un soir de Juillet à Vilnius, capitale de la Lituanie. Depuis quelques semaines, une série Net flix est disponible qui revient sur cette tragédie et partiiculièrement, sur le regard des médias à l'époque. Une tentative louable et non dénuée d'intérêt, tant la société d'aujourd'hui a changé quant au traitement des cas de meurtres de femmes par leur conjoint. Autrefois qualifié de crime passionnel, l'époque leur donne l'appellation plus précise de féminicide, c'est à dire de crime de femmes pour ce qu'elles sont, c'est à dire, des femmes.
Dans le cas de l'affaire entre Cantat et Marie Trintignant, il est impossible de nier ce caractère de féminicide à une histoire de femme battue à mort par son compagnon de l'époque. Si l'histoire d'amour entre ces deux personnalités importantes du monde artistique est incontestable, rien ne peut justifier ni permettre de minimiser cette fin tragique pour l'actrice.
Toutefois, je tiens à m'exprimer sur un point précis. Si votre serviteur écoute toujours par instant Noir Désir ou les nouveaux travaux de Cantat, il n'en dédouanne pas celui-ci de ses actes horribles et de sa personnalité apparemment très toxique.
Excellent chanteur, poète inspiré et engagé dans des combats nobles, l'ex leader du groupe bordelais n'en est à mes yeux pas moins un homme dangereux, du type narcissique (c'est à dire avec un égo surdimensionné), un cas psychologique et qui sait un homme troublé, proche du malade mental.
A sa sortie de prison, j'avoue avoir été aveuglé par mon adoration pour son personnage et surtout de son oeuvre. Sans la moindre pensée compassionnelle pour Marie, je n'avais alors de sentiments que pour son bourreau de juillet 2003. Aveuglé par le talent et l'aura de l'auteur des faits, je ne voyais en Cantat qu'un rocker écorché, tourmenté auquel je passais tout. Coup de folie d'un soir, excès de rockstar, circonstances atténuantes de tous ordres, je lui trouvais beaucoup d'excuses.
Et puis, vint le suicide de son ex-femme Krystina Rady. Un drame atroce, qui vint noircir un peu plus le tableau de cet homme décidément louche. Mais pouvait-on suspecter Cantat de malveillance et le rendre presque responsable du décès de son ex-compagne? Quelque chose sonnait faux, comme une distorsion de la réalité, un bruit dans ce paysage sonore.
La nouvelle de la fin de Noir Désir jeta une première ombre sur la personnalité sombre de Cantat. Par la voix de son ami le guitariste Serge Teyssot-Gay, le public et la fan base apprenait les désaccords humains entre le musicien et son chanteur. Une manière indirecte de pointer l'indécence de Cantat a vouloir reprendre le groupe et l'aventure musicale comme si de rien était.
Si ordure il y avait au sein de cette formation, elle ne pouvait provenir du côté Teyssot-Gay, tant la personnalité attachante et profondément humble du musicien tranchait avec le narcissisme de son ancien leader/chanteur. De chanteur maudit, Cantat devenait un personnage infréquentable, imbuvable, atroce. Pourtant, malgré ces nouveaux éléments qui accablaient le rocker, je n'ai pas blacklisté son travail. J'ai même patiemment attendu la sortie de son premier album avec son nouveau groupe Détroit formé en 2012. Le Phoenix renaissant, la rédemption d'un grand talent, le come-back d'une rockstar, l'histoire avait de la gueule.
Ce narratif m'a fait me pencher sur les chansons de ce disque comme un enfant retrouve son doudou avant de dormir. Noir Désir appartenant désormais au passé, sa nouvelle descendance faisait l'effet de parfait remplaçant et mieux faire passer la pilule de l'absence de ce groupe majeure de ma scène rock hexagonale.
De retour avec "Droit Dans le Soleil", j'accordais à Bertrand Cantat le pardon qu'on accorde aux êtres tourmentés, géniaux, fous et inspirants à la fois. Il avait tué de ses propres mains une femme mais son talent, incontestable, l'ex-honorait de presque tout.
Plus encore, une campagne médiatique (la couverture d'un numéro des Inrocks) venait presque prendre sa défense et réhabiliter l"homme derrière l'artiste. A vomir mais pourtant bien réel. Prisonnier modèle, homme à la personnalité ultra-sensible, Cantat avait droit à une seconde chance. C'était une évidence.
Jusqu''à ce qu'un article paru dans Marianne ne vienne assombrir ce portrait un poil trop élogieux. Une enquête signée de la journaliste Anne-Marie Jahn avec laquelle on apprenait le caractère toxique, manipulateur et violent de l'ex-Noir Désir. A peine sorti de prison, celui qui avait été défendu avec tant de hargne par son ex-femme, n'avait trouvé rien de mieux que de la retrouver et de chercher à briser l'histoire sentimentale qu'elle vivait à l'époque.
Chantage au suicide, tranchage de veines, coups, blessures volontaires, le comportement brutal et hors contrôle de Cantat apparaissait au grand jour. Poète inspiré et inspirant, il était un homme à double facette. Dr Jekyll lumineux à la scène, l'homme se révélait un Hyde monstrueux à la ville avec son entourage proche. Jusqu'à ce que l'irréparable se produit au sein même de sa propre maison. La mort par pendaison de Rady. Sans doute épuisée par ses combats, minées par des remords et harcelée moralement, celle qui avait farouchement défendu Cantat pendant son procès avait fini par craquer.
D'homme au destin maudit à mes yeux, celui-ci devenait de plus pour moi un personnage incontrôlable, dangereux et toxique. Un homme à soigner ou à enfermer.
Aujourd'hui j'avoue ne plus avoir aucun doute quant au profil manipulateur et dangereux de l'ancien Noir Désir. Homme immature au passé violent avec ses anciennes compagnes, il a démontré sa perversité narcissique comme le prouve le documentaire de Netflix, intitulé de "Rock Star à tueur".
Qu'en est-il alors de l'autre Cantat, celui qui sait nous faire frissonner et ressentir des émotions intenses à l'écoute de son chant ? Quoiqu'entamée par ces révélations récentes, sa crédibilité et sa valeur en demeurent selon moi quasi-intactes. Marquée par ce vécu très sombre, le blues de Cantat en a pris une épaisseur. Le talent d'un pervers narcissique diront ses détracteurs, sans aucun doute mais l'illusion est parfaite et on n'y voit que du feu. Plus intense qu'elle ne l'a peut être jamais été, la plainte vocale de l'écorché vif laisse l'auditeur sans voix, justement. Cantat joue avec ses tristes souvenirs et ses émotions. Il sublime la mort de deux femmes avec un verbe flamboyant. Une pirouette et un jeu d'acteur pour certain, la force d'un véritable artiste pour d'autre, le cas Cantat est un cas unique, un cas de conscience pour ceux et celles qui l'écoutent. Si l'admettre à nouveau parmi ses compagnons de route musicale constitue un délit, alors j'admets ma culpabilité. Son dernier travail avec Détroit est un bijou, un travail d'orfèvre rock.
Ce gars-là est hors du commun, un illusionniste, un prestidigitateur capable de se transformer en bete de scène avant de redevenir une bete tout court.
Le documentaire et l'enquête d'Anne-Marie Jahn a cependant définitivement permis de découvrir ce qui n'est au final qu''un pot aux roses : Cantat est un comédien, un poète factice, un acteur au double-jeu désormais évident. Il joue, sur-joue, au chanteur maudit, au Jim Morrisson ou au Jeffrey-Lee Pierce, sans jamais en avoir l'épaisseur, ni surtout l'éthique morale.
Noir désir ou noir destin, ce sombre personnage (qui est tout sauf un héro) ne mérite tout cas aucun regard et devrait disparaître de la scène médiatique pour ne plus jamais réapparaître.